Candide à Bouillons #6

Candide à  » Bouillons Kub  »

Je vais découvrir  » 120 X 120  » de Janladrou.
C’est du jaune qui m’accueille, l’effet est immédiat : j’oublie le jour gris, typiquement normand, qui me désole depuis le matin ! Trois carrés d’1 m 20 de côté me font face, le titre de cette exposition est donc un constat géométrique.

Le tableau de gauche est traversé par 5 bandes noires verticales. Quand on aime la symétrie – ce qui est mon cas – c’est un régal, elle est dans les motifs, les couleurs, les mots… Je pense à des bouts de pellicule d’un appareil photo argentique. Les 2 bandes extérieures portent 3 mots en anglais :  » MORE IS LESS  » et  » LESS IS MORE  » ce que j’interprète comme  » le plus est le moins  » et réciproquement, cela pourrait être un sujet de dissertation. Les 2 bandes voisines sont porteuses de signes en miroir, sortes d’idéogrammes dus à l’imagination de l’artiste. Lettres et caractères sont déclinés suivant un rythme régulier en cinq tons pastel. Quant à la bande du milieu, son fond a été recouvert de pastilles noires et de grosses gouttes dont la position ne doit rien au hasard, tout cela a été contrôlé, organisé, cadencé. Elle rappelle que le fond de la toile est lui-même tapissé de petites gouttes aux tons doux dans des nuances de jaune, j’imagine l’infinie patience qu’un tel travail requiert.

Mon regard passe maintenant au tableau central, objectivement je dois reconnaître que lui seul arbore une couleur à dominante franchement jaune, il est lumineux, brillant. Des traces de rouge, de bleu, de blanc, de noir laissent deviner 4 bandes horizontales traversées par une verticale centrale. Et en surimpression, des groupes de formes triangulaires, noirs ou blancs, parfois reliés par des lignes me font penser aux stabiles de Calder. J’aime le regarder, il exprime quelque chose de vif, de joyeux, il rend optimiste.

Le fond jaune du tableau de droite n’apparaît que par transparence, il a été recouvert de noir très dilué, comme s’il y avait un mouvement de vagues. Treize bandes horizontales jaunes ont été tracées à distance égale les unes des autres, il semble qu’ensuite le peintre a voulu les raturer toujours au noir dilué et y tracer des signes. Cet alphabet n’est pas encore répertorié, c’est un mixte d’inspiration cyrillique, arabe, plus  » bonhommes  » de maternelle… J’imagine que Janladrou se fait plaisir en mélangeant les genres, en créant son écriture personnelle et moi je me rève quelques instants en Champollion devant sa pierre de Rosette, s’apprêtant à déchiffer les hiéroglyphes ! Comme si tout cela était trop simple, des coulures blanches au tracé et à la régularité bien maîtrisés descendent du bord supérieur des bandes jaunes et s’arrêtent plus ou moins dans la bande inférieure.
Même si je suis bien consciente que ce dernier tableau est finalement à dominante noire, je maintiens que le jaune est la couleur de cette exposition !

Je trouve qu’il y a quelque chose de contradictoire dans ce tableau, la construction est très géométrique : des bandes droites horizontales, alors que le graphisme qui les recouvre peut sembler juste ébauché, crayonné, j’espère que l’auteur n’en prendra pas ombrage.
D’ailleurs je retrouve ce goût du contradictoire dans le petit texte de Janladrou : vide et plénitude, travail de volonté et obéissance à une nécessité.  » Quand on est peintre, on est dans le tableau « , cela me rappelle l’histoire de l’enfant qui demande au sculpteur :  » Comment savais-tu qu’il y avait cet animal dans le bloc de pierre ?  »
Janladrou a emmagasiné tellement d’images qu’elles ont décidé de reprendre leur liberté en passant par ses pinceaux, ses collages, ses reports et ses couleurs, elles le remercient de les avoir aimées en lui permettant d’en créer de nouvelles.
Candide.