Candide à Bouillons #8

Ce sera une première, je vais découvrir  » Gabarit  » de Pascal Rioult quelques heures avant le vernissage. Une structure en bois occupe tout l’espace, elle délimite un important volume et pourtant une impression de grande légèreté, de délicatesse, s’impose. Je ne résiste pas à l’envie d’entrer, séance tenante, dans ce domaine : un tour dans le sens des aiguilles d’une montre, un tour à l’envers, un pied dans chaque espace. Cela aurait été envisageable aussi à pieds joints ou encore en mode marelle, à cloche-pied, mais il fallait alors négocier le passage de la tête en coordonnant le saut et l’abaissement car, bien que de taille modeste, je dois courber la tête pour passer d’une pièce dans l’autre et je n’envisage pas de prise de risque inutile !
Ce petit exercice physique assouvi, je redeviens sérieuse et observe l’oeuvre. Elle va être l’occasion de réviser mon vocabulaire géométrique, c’est un véritable défi à mes lointains souvenirs. Au centre, sur le sol, un pentagone en bois aggloméré est composé de cinq triangles isocèles. Adossé à la base de chaque triangle, un prisme droit, posé sur une face trapézoïdale est matérialisé par douze tasseaux de bois au ton jaune pâle (quelques faces sont restées à l’état naturel), la hauteur est d’environ 1 m 55 (puisque mon front touche la barre supérieure).
Dans un premier temps, je ne me sentais pas autorisée à poser le pied sur le  » terre-plein  » central, juste à passer la tête dans le pentaèdre pour accéder au puits de lumière, ensuite j’ai transgressé, mais malgré la légère surélévation, je ne dominais pas la situation (seul l’escalier me le permettra).

J’ai pris un tabouret et j’ai répondu une deuxième fois à l’invitation de cette structure, j’y suis entrée et me suis assise dans une des loges pour laisser libre cours à mon imagination.
J’ai pensé à  » La dame de Shanghai  » d’Orson Welles : tous les miroirs du labyrinthe de l’attraction foraine se sont effondrés, Rita Hayworth a disparu, je suis seule dans l’ossature du décor.
Dans un tel cadre, Marcel Aymé n’aurait jamais pu créer son célèbre  » Passe-muraille  » et Bourvil ne l’aurait pas incarné.
Je me projette aussi dans mon manège idéal, passant des branches d’un arbre, à un fauteuil placé devant un écran de cinéma, à un jardin fleuri et parfumé, à un abri garni de livres pour finir évidemment sur le dos d’un cheval.
Et si cette armature était le lieu d’envol d’acrobates dessinant un ballet aérien millimétré ?
Avec cet ensemble, le mouvement perpétuel doit être envisageable aussi, il suffit de prendre un montant, d’entraîner la structure lui donner de la vitesse et c’est parti ! elle tourne, tourne, tourne… Bon, je m’égare un peu, retour sur terre (qui elle aussi tourne, tourne…). A moins qu’André (ou Pascal Rioult) ne soumette aux visiteurs une sorte de jeu, chacun d’entre eux propose un itinéraire : du plus court au plus long, du plus rectiligne au plus tortueux… et commence alors un relais sans fin entre les montants.
Revenue à l’extérieur de la structure, je prends conscience d’un phénomène pour le moins bizarre : alors qu’il n’y a aucune barrière réelle au regard, j’ai envie de passer la tête pour voir de l’autre côté, de pénétrer pour connaître l’intérieur comme s’il y avait des toiles pour séparer les espaces, cacher des  » choses « , la curiosité est pourtant un vilain défaut dit la sagesse populaire, mais là, je m’en moque. Ce  » Gabarit  » me convaincrait qu’il faut entrer pour mieux voir, même si les  » murs  » sont dans ma tête, inquiétant ? Et l’auteur n’a laissé aucun document qui pourrait m’éclairer sur sa démarche, ses intentions !

Je restais donc avec mes interrogations et une légère angoisse sur ma santé mentale ! L’après-midi quel ne fut pas mon soulagement quand Pascal Rioult expliqua que dans un premier temps il avait prévu fermer ses espaces par du tissu ou du papier et que finalement il n’en avait rien fait puisque son but était  » un espace ouvert, qui donne envie d’entrer « .  » Et voilà !  » dixit l’artiste, j’étais prête à entrer dans une oeuvre !
Candide, le 22-09-2014